Restitution de l’atelier tenu le samedi 28 septembre 2019 à l’Estaque. Travail collaboratif à suivre…
Lors des États généraux de Marseille le 22 juin dernier à la fac Saint-Charles, nous avons fait le choix, unanimement, à la demande d’une des membres du CA du Festival international du dessin de presse de l’Estaque qui était parmi nous, de nous retrouver pendant le festival pour notre première rencontre en tant que Collectif Culture, afin de montrer notre attachement à un événement culturel marseillais vivant (malgré les baisses de subventions), accueillant (malgré les barrières de sécurité que l’époque impose) et résolument populaire. Un festival attaché à la liberté d’expression : comment ne pas l’être quand on est caricaturiste, et à la liberté tout court. Un festival qui pense que la création doit s’intéresser au monde tel qu’il est, et ne pas faire diversion: en témoignent les expositions présentées, sur les migrants, sur les gilets jaunes, sur le mal-logement.
Nous avons abordé dans nos ateliers la question du rapport entre culture et politique dans cette ville, pour constater qu’à tous égards ce rapport est extrêmement problématique, parce que violent et dévoyé, parce qu’il fragilise considérablement la culture et la ville.
En témoignent les cas récurrents de censure politique pure et simple dans les équipements publics : un film annulé à l’Alcazar il y a quelques années, une pièce de théâtre déprogrammée à la bibliothèque du Panier il y a quelques semaines ; nous-mêmes, qui avons failli ne pas pouvoir nous réunir à l’Estaque, car cela ne plaisait pas à la Mairie du 15-16.
Nous nous demandons pourquoi ces affaires ne font pas davantage scandale, pourquoi le milieu culturel ne se mobilise pas plus massivement et fermement contre ces pratiques inacceptables d’atteinte à la liberté de création : la réponse fait partie du problème. Les acteurs culturels de Marseille vivent et travaillent sous la menace permanente d’une baisse de leurs subventions, menaces parfois très directes et décomplexées de la part des élus.es, les exemples de chantages sont légion. Elles vont de l’intervention directe de dans la programmation d’une structure en interdisant ou en imposant des événements, en s’appropriant les initiatives culturelles pour les faire correspondre à leur plan de com’ (on pense à la Fiesta des Suds qui s’appelle désormais « en Provence » pour entrer dans les cases de « touristification » du département) jusqu’à formater l’ensemble de la programmation culturelle subventionnée – donc considérée comme légitime, digne d’être viable et visible – d’une année entière en lui imposant un thème : 2019 la Gastronomie, 2018 l’Amour, 2017 le Sport…
Cette pratique de thématisation,imposée par la politique culturelle de la création ces dernières années, a de nombreux effets pervers, parmi lesquels :
◦ l’uniformisation de l’offre culturelle, imposée par en haut, écartant la diversité et tout ce qui n’entre pas dans le cadre (le contraire de ce que devrait être une proposition culturelle vivante et authentique). Il est à noter que les propositions alternatives, qui voudraient se servir du thème imposé pour le détourner ou inventer autre chose, sont de toutes façons écartées puisque les subventions vont systématiquement aux mêmes.
◦ l’instrumentalisation de la culture à des fins politiques et notamment économiques : pour favoriser “l’attractivité” de la ville, pour attirer les touristes, pour faire vitrine dans le cadre d’une opération de marketing territorial il vaut mieux parler de Gastronomie (quand bien même les marchés de producteurs disparaissent) que des immeubles qui s’effondrent.
◦ l’assignation des acteurs culturel et des publics, à n’être que des producteurs ou consommateurs d’une culture vidée de sa substance. La cultureest dans ce cas considérée comme un loisir, comme undivertissement, dans laquelle on copie le système marchand : on privilégie le spectaculaire, l’événementiel. On attend qu’elle nous vide la tête, qu’elle soit feel-good et pas trop exigeante (voir les critères d’acquisition des bibliothèques, faits en fonction des études de publics, dans certains quartiers, qui montrent en creux la vision qu’on a des populations du territoire, et les présupposés qu’on a sur eux,dans lesquels on les enferme).
En contre-point de ces écueils majeurs, et d’ores et déjà bien présents, nous voulons défendre :
◦ La liberté de création. Et pour cela nous serrer les coudes, en tant que professionnels et en tant que publics, pour protéger celles et ceux qui s’exposent en brisant l’omerta et l’auto-censure qui règnent dans le milieu culturel.
◦ Une culture dont nous sommes tous co-producteurs : nous ne sommes pas simplement consommateurs de culture, nous en produisons. La culture est indissociable du vivre-ensemble,du faire-ensemble ; elle est un outil d’émancipation qui doit lutter contre toutes les formes d’assignation.
◦ Une création fondamentalement politique, remettre du débat, du dissensus dans la culture, la remettre au coeur des enjeux sociaux pour qu’elle nous aide à penser la société.
◦ Une création populaire: l’exemple du musée de la Rue, rue du Musée à Noailles, développé dans un article joint, nous apparaît comme un exemple à suivre particulièrement inspirant.