Restitution du projet présenté le 29 septembre 2019 à l’Estaque. Un travail à suivre sur le site de Noailles debout, vive Noailles! et sur la page Facebook Rue du musée
Noailles relève la tête !
Le quartier Noailles est pris de longue date dans les rouages d’une machine implacable qui déconstruit et balaye patiemment les ruines qu’elle fabrique en silence. Ce silence a été rompu par les effondrements mortels du 5 novembre 2018.
Depuis lors, nous vivons dans l’écho assourdissant de cette catastrophe qui révèle au grand jour les violences et les menaces physiques, sanitaires, institutionnelles, sociales et psychiques liées à l’insalubrité, à l’état dégradé du bâti, aux évacuations et déplacements de la population, sans parler des risques mortels d’effondrement qui pèsent sur nos existences. La liste des violences qui frappent les habitant.es de Noailles est malheureusement longue et non-exhaustive.
Le comble de ces violences, c’est qu’elles viennent justifier avec cynisme et mépris les projets d’une politique urbaine qui prétend « apaiser » les espaces publics en les rendant plus « attractifs » et « qualitatifs », chassant par là-même les habitants les plus pauvres, les reléguant au-delà du visible.
Relever la tête, habiter là.
L’état de dégradation et d’abandon des quartiers populaires, en plus d’être quotidiennement mortifère, ne justifie-t-il pas à la fois leur dévalorisation, celle des modes de vie des habitants et l’interventionnisme redouté des urbanistes ?
Comment embellir nous-mêmes nos quartiers en évitant de faire le jeu de la « montée en gamme », de la « requalification » programmée qui vise à nous disqualifier, à substituer aux habitants actuels une population plus riche et à orienter les commerces vers le tourisme ?
Pour cela une alternative vivante s’impose, elle passe par ce qui est notre richesse propre, ce que nous désignons comme notre patrimoine. Notre manière de vivre ensemble et de résister entre solidarité, ingéniosité, entraide, créativité, humour, combativité, fierté ou résilience, en bref notre joie de vivre.
Deux types de textes nous servent de tuteurs : ceux qui disent nos droits culturels et la convention européenne de Faro qui défend la valeur du patrimoine pour la société. À partir de ce socle nous pouvons faire entrer le patrimoine de Noailles dans la mémoire collective. Nous pouvons aussi embellir notre quartier, nos rues, nos places. Il ne s’agit pas d’une action décorative consistant à donner un joli nom à un endroit minable, ou à repeindre un mur qui s’effondre. C’est au contraire un signal qui touche à l’essentiel, à notre récit commun, celui qui nous raconte et raconte la citoyenneté.
Un musée de la rue, à la Rue du Musée C’est dans cet esprit que nous, gens de Noailles, avons participé aux journées européennes du Patrimoine. À Noailles, nous n’avons pas de Musée mais nous avons la Rue du Musée. Des habitants y ont exposé le début d’une collection d’objets de mémoire recueillis dans le quartier. Les objets sont un prétexte : c’est le récit qui nous intéresse. Ce récit dit ce qui est et a été important, marquant ou décisif pour nous cette année en particulier, ou encore ces anecdotes qui n’ont l’air de rien mais en disent plus long que les discours, ces rêves endormis ou éveillés qui parlent de nos traumatismes conscients ou inconscients, ces liens qui nous unissent à l’effondrement, au trauma, à la mobilisation, à nos voisins, à notre quartier, à la beauté ou la tristesse de nos expériences solo ou partagées, à ce qui a changé dans nos façons de vivre, d’habiter. Les objets servent à illustrer ces récits.
Chacun des visiteurs a désigné la mémoire de l’objet qu’il souhaitait inscrire dans celle de la ville. L’objet élu a été présenté officiellement aux voisins des Labourdettes (tours de Belsunce) et porté avec eux en un cortège solennel à travers la Ville, la Bourse et le Jardin des Vestiges jusqu’au Musée d’Histoire de Marseille. Il a été remis en cadeau aux conservateurs du musée qui l’ont reçu avec sympathie et intérêt.
Parmi les 25 objets, ce sont « Les Chaînes », cadenassées et scellées aux murs et portes des immeubles en péril, qui ont remporté les suffrages.
Quand les habitants réintègrent leurs logements, les cadenas sont enlevés mais pas ces chaines qui dérangent autant qu’elles fascinent. Elles évoquent le péril et le délogement et notre union scellée dans ce ciment. Tous les objets présentés ce samedi 21 septembre à midi sous la pluie sont comme les pièces d’un puzzle à assembler, la somme des petites histoires qui font la grande. C’est donc bout à bout que nous avons disposé nos bouts d’âme(s) debout et avons reconnu ensemble que c’était là notre histoire et notre patrimoine exemplaire.
Le Musée d’Histoire de Marseille n’est pas très loin de notre quartier mais la distance n’est pas que géographique, elle est aussi symbolique. Il n’est pas évident, pour quelqu’un du peuple, de passer les portes d’un Musée. Paradoxalement et poétiquement, ce sont des chaines cadenassant les immeubles de notre quartier qui nous ont permis d’ouvrir les portes du Musée. Vendredi encore, elles étaient soudées et rivetées à la porte d’un immeuble à Noailles. Samedi soir, elles dormaient au Musée d’Histoire.
Il était une fois la Rue du Musée.