Contribution à une « Déclaration de Marseille pour les Droits Culturels », élaborée lors de l’atelier tenu le samedi 28 septembre 2019 à l’Estaque, travail collaboratif à suivre…
Livret imprimable à télécharger par ici
Le texte de Fribourg sur les Droits Culturels se réfère à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs »
Cette déclaration énonce les droits du plus grand nombre. Elle institue de fait une mise en commun entre ceux qui ont des droits, et ceux qui s’adressent à ceux qui ont des droits, car ces droits sont dits universels. Sa vertu consiste à introduire de l’horizontalité dans les débats sur les biens culturels, la détention de culture, le fait « d’en avoir ou pas ». En cela, elle affirme une idée radicalement opposée à ce que nous a enseigné la culture scolastique qui nous habitue dès le plus jeune âge à effectuer des hiérarchies, des classements, des tris, des échelles de valeur entre ce qui vaut la peine, et ce qui ne le vaut pas.
Les droits culturels remettent en cause une culture universaliste, nationaliste, héritée du Siècle des Lumières et de la colonisation, une culture dominante autonormée, blanche, « savante », bourgeoise, qui de fait écarte des personnes.
Les droits culturels au contraire visent à créer des espaces pour que les individus puissent s’exprimer avec leurs langues, leurs codes, leur voix, leur corps, etc.
Les droits culturels font référence aux droits humains, aux droits de l’homme de notre constitution :
Ils reconnaissent chacun dans son égale dignité. Ils nous invitent à réfléchir par nous-même, et à exercer notre liberté de conscience
Parce que chaque personne doit être reconnue dans sa dignité, avec ses « attachements » culturels (sa langue particulièrement), ils reconnaissent que chaque individu est porteur de cultures légitimes.
Les personnes, les individus parce qu’ils ont une histoire, des origines singulières peuvent elles-même apporter, contribuer, participer à la vie artistique et culturelle.
« Les droits culturels impliquent une conception de la culture qui valorise les droits des minorités et des personnes et permet de combattre les formes de fascisation et de radicalisation en cours dans la société: exclusion, violence sociale, repli identitaire, perception de la culture comme violence symbolique, rejet et discrimination de l’autre, de l’étranger, sexisme, enfermement dans les frontières. La culture ne vise pas des publics ou des consommateurs dont il faudrait élargir l’assise, mais elle est l’affaire de personnes égales en dignité. » (« Les droits culturels, qu’est-ce que ça change ? » Synavi, 2017)
Les droits culturels s’accompagnent de devoirs.
Dans le contexte de la précarisation généralisée des métiers et des conditions d’existence au quotidien, particulièrement accentués à Marseille par l’inégale répartition géographique des infrastructures culturelles, nous envisageons l’action culturelle comme un acte de résistance.
Résistance contre les processus d’aliénation individuelle et collective, à laquelle « la culture » des œuvres participe.
Résister et s’émanciper: l’émancipation étant entendue comme une capacité à identifier les rapports de domination, et à faire en sorte que cette capacité ne fasse pas de nous des dominants.
S’il y a un droit à être digne dans sa propre culture, il y a un devoir de s’arracher à sa propre culture pour faire un pas de côté et se mettre en capacité de pouvoir prendre en compte, voire, accueillir celle de l’Autre.
Il y a un devoir de considérer la culture au sens anthropologique (au sens de la déclaration des Droits Culturels), c’est à dire en restituant à la création sa place, certes nécessaire, comme peuvent l’être l’éducation, les soins, la liberté d’expression. Il y a donc un devoir de ne pas réifier le statut des artistes, et la création artistique, comme étant « au centre de la société ». Les artistes, comme la création artistique, sont des leviers parmi d’autres pour s’émanciper.
Ces devoirs exigent d’envisager la création et l’art non pas seulement à travers le prisme de l’esthétique mais à travers celui des dimensions sociales qu’ils mettent en œuvre.
Ces devoirs incombent aux gens, mais surtout aux responsables de « la culture », c’est à dire aux élus en charge de ces questions, aux opérateurs culturels et aux artistes.
Résister, s’émanciper, s’ouvrir à l’altérité, telle seraient quelques uns des principes des devoirs culturels pour une Marseille vivante, populaire et accueillante.
Le droit à la liberté d’expression artistique et de création est une question centrale, elle fait partie intégrante des droits de l’homme. Elle est source de vitalité, d’échanges et de débats contradictoires, de visions renouvelées de l’Histoire.
Le financement des artistes par les pouvoirs publics en est la garantie.
Il s’agit de mettre en place un contrat social où la création artistique, sous toutes ses formes, est envisagée comme une partie insécable de la liberté d’expression, c’est à dire à la fois un moyen et un contexte pour faire vivre cette liberté.
« Le rôle essentiel des artistes comme « contrepoids » des pouvoirs existants, à contre-courant des discours dominants, leurs fonctions d’« interpellation », de « contestation », et de « mise en examen », leur légitimité à « explorer le côté sombre de l’humanité », voilà ce qui oblige les responsables publics, défenseurs des droits humains, à s’engager pour la protection et la promotion de la liberté artistique. » (« Les droits culturels, qu’est-ce que ça change ? », Synavi, 2017)
Le recours aux droits culturels sera un gain en autonomie des artistes et des opérateurs culturels, à la condition que ceux-ci s’emparent du champs social.
Qu’ils ne laissent plus à d ‘autres la définition de la problématique sociale.
Qu’ils « racontent » leurs métiers avec un langage et des valeurs qui sont les leurs.
Qu’ils n’aient plus à légitimer leur existence auprès de décideurs politiques et «d’experts » qui invoquent leurs critères et leurs conceptions de l’économie.
En recourant aux droits, on passe sans doute du champ artistique au champ social, mais on passe aussi du fait du Prince au partage du Commun.
Bien sûr les droits culturels peuvent aussi amener à des usages malveillants, qui limiteraient la liberté artistique, justifieraient l’absence de soutien. Nous sommes dans un monde ou les tenants du libéralisme usent de tous les leviers qui se présentent. Il n’y a aucune raison que les droits culturels y échappent.
Mais c’est à nous de nous en emparer, c’est à nous de donner du sens à ces droits.
Il s’agit de ne pas laisser à d’autres qu’à nous même le choix de l’interprétation de ces textes.
Il s’agit de ne pas s’en remettre à des « spécialistes », au service d’un pouvoir acquis au libéralisme qui seraient chargés de les mettre en œuvre, mais bien de se réunir et de se regrouper pour « faire Déclaration », quitte à en discuter ou à en supprimer certains passages avec lesquels on ne serait pas d’accord et pourquoi pas en rajouter si ça nous paraît juste.
Pour une égalité d’accès à la culture
L’absence d’équipements et d’offres est flagrante pour les catégories les plus pauvres. La tarification élimine ceux qui n’ont pas les moyens et crée une barrière économique. Pour des raisons de formes, beaucoup ont la conviction de ne pas être légitimes et que cela s’adresse à d’autres : barrières de langues, des codes, des normes. On ne peut plus entendre parler de population qu’il faut toucher parce qu’elle est essentiellement constituée de « publics pauvres ». En les désignant de cette manière là, on les assigne, on les stigmatise.
Cette culture normée, dominante, perçue comme seule légitime fait que souvent ces gens ne demandent rien, ne réclament rien, n’attendent rien. Ils ne s’y reconnaissent pas.
Tant qu’il n’y aura pas de diversité sur les scènes, sur les plateaux, il n’y aura pas plus de publics issus de la diversité. Il faut ouvrir les possibles, accompagner par des formations artistiques les personnes les plus précaires et volontaires. Que les personnes racisées ne soient pas cantonnées à du ménage dans les lieux culturels. Qu’on permette aux personnes racisées d’accéder à des postes de directions de théâtres, d’institutions, de compagnies, etc.
La culture ne se résume pas à l’art. Nous devons rompre avec l’idée d’une démocratisation culturelle comme unique projet de référence.
La démocratisation culturelle a une fonction éducative / donner accès à tou.tes aux œuvres dites « majeures » / rendre accessible à un large public une culture dominante (savante, érudite, cultivée) reconnue comme bien public et valeur universelle. Elle a à l’origine un but louable d’émancipation qui est loin d’avoir abouti, mais à aussi montrer ses limites.
La culture n’est plus seulement une accumulation d’œuvres et de connaissances qu’une élite produit, recueille et conserve pour les mettre à la portée de tous, ou qu’un peuple riche en passé et en patrimoine offre à d’autres comme un modèle dont leur histoire les aurait privés ; la culture ne se limite pas à l’accès aux œuvres et aux humanités mais est tout à la fois acquisition de connaissance, exigence d’un mode de vie, besoin de communication ; elle n’est pas un territoire à conquérir mais une façon de se comporter avec soi-même, ses semblables, la nature ; elle n’est pas seulement un domaine qu’il convient de démocratiser, mais elle est devenue une démocratie à mettre en marche. (la conférence définit la démocratie culturelle – Unesco 1980)
Partager / Échanger
La défense des droits culturels ne doit pas se définir comme une lutte pour défendre un «pacte républicain» pour la culture dont l’abandon menacerait principalement les acteurs culturels et artistes, mais comme une lutte dans tous les secteurs de la société pour l’émancipation de tous et pour l’hégémonie de valeurs culturelles (liberté d’expression et de création artistique, reconnaissance de la diversité culturelle) renvoyant aux droits humains fondamentaux.
S’inspirer des droits culturels peut nous conduire à agir, à penser, à fabriquer, à imaginer, à avoir des représentations du monde variées pour dialoguer ; à exprimer une critique, un avis, une pensée indépendante.
La diversité est le fondement même du besoin d’être en relation les uns avec les autres.
Elle implique une temporalité longue pour prendre le temps de la rencontre.
Donner accès à la culture des cultures permet à tous d’accéder aux scènes et aux plateaux de théâtre, d’ouvrir les possibles, de se sentir autoriser à rêver un avenir artistique auquel n’ont accès que quelques privilégiés.
Lien de la déclaration de Fribourg: https://droitsculturels.org/blog/2012/06/20/la-declaration-de-fribourg/